Paysage 7 – Voyages Immobiles

Étranges voyages....

Quelles sont les raisons qui poussent l’homme à voyager ?, le besoin d’affirmer son existence ?. Pouvoir se déplacer vers l’inconnu ? La quête d’un ailleurs ? Le moindre bout de terre, au hasard l’île moustique, est représenté sur la carte du monde. La notion de voyage a changé radicalement depuis l’avènement des moyens de transport. Nous sommes passé des explorateurs du dix-neuvième siècle tel Lord Byron, traversant des déserts sans fin à dos de chameau, aux nomades internautes du vingt-et-unième siècle, préparant leur cheminement virtuel sur la toile. Le récit de voyage a également évolué, passant du carnet rempli de notes aux pages Web quotidiennes rapportant la moindre anecdote du voyageur interplanétaire. Jamais dans l’histoire de l’humanité, l’homme ne s’est autant déplacé, majoritairement pour le tourisme. Il est possible d’aller n’importe où, et parfois en très peu de temps Voyage organisé, voyage planifié, voyage à la carte, nous sommes rentrés dans l’univers de la consommation du déplacement.

Si nous devions parcourir à pied toute les voyages réalisés à bord d’avions ou d’autres véhicules motorisés, nous aurions besoin de plusieurs vies. Et pourtant marcher permet de rêver, de prendre le temps de partager, de rencontrer, de regarder. Combien de révolutions sur l’axe planétaire seront nécessaires pour admettre notre impuissance face au temps qui passe. La vie est un voyage, plus ou moins long, mais à l’échelle de l’univers, notre présence terrestre est très courte comparée à celle des arbres, des pierres ou des étoiles. La terre tourne et nos voyages semblent parfois immobiles même si nos corps se déplacent. Les repères changent, mais notre conscience nous renvoie à la vacuité de l’existence, d’où le besoin irrépressible de remplir ce vide par peur de l’affronter, jusqu’au « tournisme ».

Surtout ne pas perdre de temps, l’avion plutôt que le train, courir plutôt que marcher mais avant tout ne pas s’ennuyer. Les destinations touristiques sont devenues des produits de consommations thématiques où la part d’inconnu est supprimée. Et si, par hasard, l’inconnu, l’extraordinaire était plus proche de nous. ? Le voyage n’est-il pas avant tout intérieur ?. Ultime carte dont il faudrait imaginer les contours.

C’est justement l’interprétation du monde par le filtre de notre conscience qui m’intéresse. Voyager n’est qu’un prétexte, une possibilité d’écrire des histoires imaginaires, de construire sa propre mappemonde. Je rends ici, hommage à Luigi Ghirri, grand photographe italien, adepte des « voyages fantastiques ». Ainsi, survoler les nuages est une sensation unique, l’impression soudaine de plonger dans une mer d’écume. Quand marcher en haute montagne jusqu’à toucher le ciel donne envie de voler. La curiosité du regard devient alors l’art de surprendre à l’opposé des visions stéréotypées. Place à l’imagination, où les photographies, comme les mots, s’assemblent pour former des récits poétiques.

Ainsi, pendant un voyage au Japon, j’ai découvert une feuille bleue (une simple bâche) tout au long de mon chemin. Sa forme, ses utilisations et les saisons pendant lesquelles je l’ai retrouvée ont dessiné un « voyage fantastique », celui d’ « Aoba, la feuille bleue ». Soudain un objet ordinaire pouvait devenir extraordinaire et nous emmener très loin aux frontières de l’invisible. Dans un autre registre, je ramène des pierres du monde entier, mon sac toujours prêt à craquer sous leur poids Je les assemble en équilibre dans mon atelier et les photographie la nuit en résonance avec le cosmos, pour former un monde imaginaire, des repères chamaniques. De nouveau, l’idée du voyage est détournée et offre un cheminement différent, proche de l’enfance, où le jeu n’est pas absent. Ma dernière série, « voyage immobile »,  rassemble des images peuplées d’indices, autant d’énigmes visuelles, où chaque personne est invitée à s’inventer sa propre histoire, en l’absence de tout repère spatio-temporels, un chemin vers l’inconnu, un voyage fantastique.