Les coulisses du château

Versailles et son histoire

Versailles: le roi est mort, vive la République!

par Olivier Le Naire, journaliste et écrivain

Photos réalisées en commande pour L’Express en 2010

Comment le château de Louis XIV, siège officiel de la monarchie absolue à partir de 1682, est-il devenu, de la Révolution à nos jours, l’un des lieux emblématiques de l’identité française? Récit d’une histoire qui se confond avec celle de tout un pays.Certes, le palais dont Louis XIV fit le centre de la monarchie absolue, en 1682, aurait pu connaître, en 1789, le sort de la Bastille. Mais Versailles n’a pas été épargné par hasard. Difficile, en effet, de vendre ou de raser ce chef-d’oeuvre, témoin du génie artistique d’une France qui, au XVIIe siècle, régnait sur le monde. Surtout quand la ville royale entourant ce château est celle où fut prêté le Serment du Jeu de paume. Celle aussi sur laquelle marchèrent les Parisiennes lors de la disette d’octobre 1789, forçant le roi à rejoindre Paris.  Symbole des excès de la monarchie, ce château est donc aussi, très tôt, l’un des témoins majeurs de la longue marche du peuple français vers son émancipation. D’ailleurs, dès 1789, la dualité du lieu est actée, même si les insignes de la royauté, qui y pullulent, sont bûchés. Mais, une fois acquise l’idée que ce monument doit être sauvé, qu’en faire? Il faudra plus de deux siècles pour répondre à cette question complexe. Et ultrasensible. Lorsque, dès le 6 octobre 1789, Louis XVI s’enfuit de Versailles, les sans-culottes s’emploient à occuper et à désacraliser le lieu. Ils arrachent les fleurs des parterres de Le Nôtre pour y planter des patates et des oignons, le Petit Trianon est transformé en gargote et les clubs révolutionnaires prennent leurs quartiers à l’Opéra ou dans la chapelle royale. Mais le château, relativement protégé du vandalisme, ne perd son statut de résidence royale qu’à la fondation de la Ire République, en 1792.  D’août 1793 à août 1794, le mobilier est vendu aux enchères lors de la plus grande adjudication de tous les temps. Sept jours sur sept, matin et après-midi, on y disperse au plus offrant 17000 lots de mobilier d’exception, d’argenterie, d’objets d’art et même de boutons de porte, vite éparpillés dans le monde entier. Une fois sacré puis remarié, Napoléon entend, lui, transformer Versailles en palais impérial pour son fils, le roi de Rome. Le château n’étant plus habitable, l’Empereur vient séjourner régulièrement au Grand Trianon, et fait élaborer des plans pour ce projet qui parachèverait son rêve dynastique. On connaît la suite. Il faudra attendre la révolution de 1830 pour que Versailles rompe définitivement avec son passé monarchique.  En 1952, alors que la galerie des Glaces a été inondée par la fonte des neiges, l’Etat n’a d’ailleurs aucun mal pour réunir les 5 milliards de francs de la souscription lancée afin de la restaurer. Les dons affluent de partout : des patrons, des familles, des écoles, des usines, de Nimier, Matisse, Cocteau, Utrillo. Et même des chambrées des soldats d’Indochine. Une certaine idée de l’union nationale. ……..A partir de là, Versailles se confond avec la République même. De Vincent Auriol à François Mitterrand, les présidents y reçoivent la reine d’Angleterre, le chah d’Iran, Ronald Reagan et même… Leonid Brejnev. Sur les conseils de son ministre de la Culture – André Malraux, qui a lui-même pris ses quartiers à Versailles, dans le pavillon de la Lanterne -, de Gaulle, en bon monarque républicain, se fait aménager une cuisine, des appartements et des bureaux dans une aile du Grand Trianon (le Trianon-sous-Bois) pour épater ses hôtes de marque, qu’il reçoit également sur place avec leurs suites.  Du coup, les Premiers ministres de la Ve République, qui ne veulent pas être en reste, annexent la Lanterne… avant que Nicolas Sarkozy, suivi en cela par François Hollande, ne fasse main basse sur cette charmante retraite, afin d’y abriter ses amours et ses réunions secrètes. Versailles a même été pris d’assaut par les artistes contemporains avides de scandales et chaque année par 6 millions de touristes en mal d’une certaine idée de la France. Du moins celle qu’ils s’en font. Aujourd’hui plus que jamais, Versailles est un choc, un bloc à prendre ou à laisser. Un songe et un mensonge à méditer, en ces temps d’identité troublée. 

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